Hormis vos œuvres publiées en France, nous ne connaissons finalementpas grand-chose sur vous. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ànos lecteurs ?Je ne parle pas souvent de moi. En fait, j’essaye de glisser toute
ma sensibilité dans mes œuvres, car mes manga représentent tout ce que
je suis. J’estime que j’ai de la chance de faire un métier que j’aime,
et que j’exerçais déjà avant d’être payé pour ça, juste comme un
loisir. Je suis un mangaka heureux !
Si l’on en croit votre parcours, vous avez créé Duds Huntalors même que vous étiez indépendant, sans aucun éditeur pour voussupporter et éventuellement sans possibilité d’éditer cet excellentmanga. Pouvez-vous nous raconter comment s’est passée cette période devotre vie ?A l’époque, je n’étais qu’un simple assistant mangaka. J’ai
travaillé pour plusieurs mangakas célèbres au Japon, par exemple avec
Hajime Kazu sur son œuvre « Mind Assassin » publiée dans le Shônen Jump
de la Shueisha. Lorsqu’il me restait un peu de temps, je faisais mes
propres travaux dans mon coin, et c’est comme cela qu’est né Duds Hunt. C’était une période délicate durant laquelle il m’a été difficile de joindre les deux bouts.
C’est Duds Hunt qui a donné le déclic à Square Enix pour vous recruter ou d’autres travaux non édités en France ?Oui c’est effectivement grâce à Duds Hunt et Square-Enix que j’ai été reconnu dans le milieu, et que j’ai pu continuer cette carrière.
Votre indépendance semble vous tenir à cœur. Mais connaissant lemilieu de l’édition au Japon, travailler à la fois pour un éditeur etpour soi-même doit nécessiter beaucoup de courage, car cela doitreprésenter une charge de travail encore accrue. Parvenez-vous à créerdes séries selon vos propres goûts et sans l’aval de votre éditeurfinalement ?Le Web Manga me tient énormément à cœur, car c’est en pratiquant
cette activité que j’ai commencé, et c’est quelque chose que je
souhaite continuer. Malheureusement, je n’ai pas assez de temps pour
cela, et ça reste personnel, donc moins prioritaire que mon travail
proprement dit. Au niveau des séries que je crée, les seules
contraintes que j’ai sont les limites personnelles que je me fixe au
départ, en ce qui concerne la durée de l’œuvre. Par exemple, s’il
s’agit d’un one shot, je dois faire attention à ne pas abuser sur la
production de planches, la longueur du scénario, etc. Autrement,
l’éditeur ne me limite pas vraiment, que ce soit pour le scénario ou
autre.
Dans Reset,vous dépeignez une mauvaise influence du jeu vidéo sur l’être humain.Cela dit, cette influence néfaste ne semble pas être l’œuvre du jeuvidéo en tant que tel, mais plutôt d’un fou cherchant à se venger dumonde. Cherchiez-vous à faire passer un message à propos de la place dujeu vidéo dans notre société ou à condamner soit le jeu vidéo, soit sesdétracteurs ?La raison principale pour laquelle j’ai décidé d’entreprendre la
création d’un manga dont le scénario est basé sur l’influence du jeu
vidéo vient du jour où j’ai assisté au salon E3 à Los Angeles. Ce jour
là était présenté Half Life 2, et tout le monde est resté bouche bée
devant les capacités monstrueuses de ce FPS. C’est à ce moment que j’ai
réalisé que le jeu vidéo ne possédait aucune limite, que ce soit dans
le bon ou le mauvais sens du terme, et c’est d’ailleurs le message que
je cherche à faire passer. L’idée d’un jeu pouvant influer sur le
mental des gens m’est alors venue à l’esprit. Mais que les choses
soient claires, je suis moi-même un gamer, donc je ne cherche en aucun
cas à véhiculer une image néfaste du jeu vidéo ; au contraire, c’est un
hobby que j’admire et pratique avec beaucoup de passion.
En France, toutes vos œuvres publiées jusqu’à l’heure actuelle sont soit des one shot (Duds Hunt, Reset), soit des séries courtes (Manhole, 3 volumes). Est-ce un format que vous affectionnez particulièrement, et pourquoi ?J’ai beaucoup de mal à m’impliquer moralement dans de longues
séries. Mon inspiration provient d’émotions intenses et brèves, et
j’aime à ce que mes œuvres retranscrivent ces mêmes sentiments dans
leur intensité et leur durée originale. Je veux que l’on ressente
exactement mes pensées et mes émotions en lisant mes travaux, aussi
éphémères soient-elles, c’est la raison pour laquelle mes manga
s’étalent sur de courtes périodes.
Quel type de manga lisez-vous habituellement ? Sont-ce plutôtdes œuvres courtes ou des séries longues ? Quels mangaka suivez-vousassidûment ?Je lis pas mal d’œuvres différentes, aussi bien du shônen que du
seinen, mais mes dernières en date sont « Hachiwan Daibar » paru dans
Young Jump et « Historie » de Iwaaki Hitoshi, un manga historique sur
la Grèce.
Quelle est la signification de votre avatar (une tête de mort avec un chapeau) ?(rires) Cet avatar plutôt humoristique provient tout simplement du
fait que je ne suis pas doué pour les autoportraits. D’autre part, j’ai
très honte de montrer mon visage sur mes œuvres. Mais il n’a pas de
signification particulière, je trouvais juste cette image amusante.
Graphiquement, on peut voir un réel faussé entre Duds Hunt et Reset.Vous rendez-vous compte de l’amélioration de votre style ? Commentexpliquez-vous son évolution ? Devons-nous nous attendre à un nouveauchangement de style dans vos œuvres à venir ?Tout d’abord merci beaucoup d’avoir remarqué cette évolution dans
mon style, cela me touche beaucoup, mais la beauté du dessin n’est pas
quelque chose de primordial pour moi.
(NdR : Tetsuya est effectivement très touché par notre compliment et ajoute timidement Je vous assure que d’autres mangakas dessinent nettement mieux que moi
! En fait, j’essaye d’adapter mon trait de façon à mieux restituer
l’ambiance des histoires que je raconte, pour mieux coller au genre.
Bien entendu, je conserve toujours un style bien à moi, reconnaissable
dans chaque oeuvre. Je pense y être parvenu au vu de votre remarque, et
je vais continuer à travailler dans ce sens.
Si vos dessins ne manquent ni de finesse, ni d’impact visuel,vos œuvres ressortent encore plus du lot grâce à vos scénarii aussimatures que passionnants. Chacune de vos œuvres semble décrire un peuplus la noirceur de l’homme et toutes les atrocités dont il estcapable. Doit-on y voir une vision pessimiste de votre part ?Oui, je suis effectivement très pessimiste sur ma vision de
l’avenir, c’est la raison pour laquelle je reste dans un registre aussi
sombre. Mais j’essaye tout de même de conserver une part d’optimisme,
car il ne faut pas non plus voir tout en noir. Et je transmets ce
message positif à travers divers clins d’œil dans mes manga, notamment
grâce à quelques notes humoristiques dans les dialogues, par exemple
les échanges entre Inoue-san et Mizuguchi-san
(NdR : les deux protagonistes principaux de Manhole) qui s’avèrent souvent divertissants et permettent de s’évader du contexte lourd et oppressant de l’histoire.
Il existe encore très peu de bons seinen manga en France et l’onse réjouit réellement que Ki-oon ait pu nous faire découvrir vos manga.Qu’est-ce que cela vous fait de savoir que vos manga sont parmi lespremiers seinen que l’on peut lire, nous autres Européens ?(rires) Il y a de bien meilleurs seinen que les miens. Je sais que
les seinen sont faits pour des lecteurs qui ont grandi avec le shônen,
et qui souhaitent voir les manga évoluer en même temps que leurs goûts
dans le domaine. Ces personnes sont donc difficiles à satisfaire, et je
suis très heureux de parvenir à les divertir avec mes travaux. Et si
vous me dites que les Français sont contents de mes œuvres, cela me
touche d’autant plus !
Dans Manhole,vous développez un scénario catastrophe où le Japon doit faire face àl’apparition d’un virus extrêmement dangereux. Vous êtes-vous inspiréd’œuvres traitant ce sujet, notamment le film Alerte ou le mangaEmerging ?Ce n’est pas la première fois qu’on me fait cette remarque (rires).
Et effectivement, je me suis inspiré de films tels que « Alerte » ou «
Le murmure de l’ange »
(NdR : film de catastrophe japonais) qui parlent de l’infection dramatique d’un virus d’origine inconnue.
On y sent également une sorte de cri d’alarme sur le fait que leJapon ne soit pas préparé à une telle éventualité. Est-ce un réelengagement de votre part pour faire prendre conscience de cela lapopulation et les pouvoirs publics ?Le but de l’œuvre n’était pas du tout de signaler le danger
proprement dit d’une telle infection, car le Japon ne risque pas trop
ce type d’épidémie, étant donné qu’il n’a pas un climat tropical. Mais
je trouvais cela divertissant d’imaginer un tel scénario, ainsi que la
réaction des habitants, et de le retranscrire en manga, pour ne pas
dire caricaturer. Je trouvais l’idée originale car les seinen au
scénario « catastrophe » dépeignent en général des phénomènes plus
banals comme les tremblements de terre ou les tsunamis.
Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets ?Hmm, je ne sais pas si je peux en parler (rires). Il s’agit d’un
manga très sérieux, différent de ce que je fais habituellement, plus
orienté vers l’action, le suspense, etc. Mais ça reste top secret, je
suis encore en train de rassembler les informations dont j’ai besoin.
Il devrait normalement voir le jour au cours de l’année.
Avez-vous un message à faire passer à vos fans français ?J’espère que vous continuerez à suivre mes travaux et qu’ils vous
plairont encore longtemps. Je suis extrêmement ravi et ému d’avoir pu
rencontrer des lecteurs français car c’est la première fois que cela
m’arrive.
(NdR : Tetsuya semble vraiment intimidé et content d’avoir pu discuter avec nous).
Merci beaucoup Mr Tsutsui de nous avoir accordé de votreprécieux temps, pour votre extrême gentillesse et votre sympathie.Bonne continuation, et bon courage pour la suite.Source : WebOtaku